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Edito 26/09 – Evènements au Justitia

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Chères consœurs, Chers confrères

L’heure est grave.

Les temps sont rudes pour la justice : ses acteurs sont mis sous pression depuis bien trop longtemps et les appels à l’aide lancés aux politiques ne semblent jamais trouver d’échos. On le sent depuis un moment : le système craque de toutes parts. Avocats, magistrats et personnel du monde judiciaire ne pourront plus tenir longtemps comme ça.

Dans des domaines sensibles tels que le pénal, le droit de la famille ou des étrangers, cette crispation latente peut se transformer en tension extrême. Et parfois, la situation dérape.

C’est malheureusement ce qui vient d’arriver.

Nul ne l’ignore : un avocat intervenant dans le cadre d’un procès de narcotrafic qui s’est ouvert devant le tribunal correctionnel de Bruges, siégeant pour des raisons de sécurité au Justitia, a entendu critiquer à l’audience les conditions dans lesquelles la défense devait travailler (mise à disposition d’une simple chaise, sans table de travail et avec interdiction d’utiliser les prises de courant, alors que le dossier est très volumineux et que le procès durera plusieurs jours). Le tribunal a refusé catégoriquement de l’entendre et devant son insistance, l’a fait expulser de la salle d’audience par la police. 

Plusieurs avocats ont alors déposé des requêtes en récusation contre ce juge, ce qui a conduit le parquet général, puis la ministre de la Justice, à s’en émouvoir et à laisser entendre que les avocats abusent de cette procédure afin de ralentir les procès.

L’OVB a saisi le Conseil supérieur de la justice de l’incident. 

Le parquet, lui, a annoncé par voie de presse qu’il ouvrait une information pénale à l’encontre d’avocats intervenant dans ce procès, du chef d’outrage à magistrat et de rébellion.

Quand les avocats de la défense n’ont rien d’autre qu’une chaise pour assister leur client lors d’un procès compliqué qui va durer plusieurs jours, c’est que l’heure est grave.

Quand un avocat est expulsé de la salle d’audience pour avoir demandé à exposer des griefs touchant au respect des droits de la défense, puis avoir voulu faire acter que la parole lui était refusée, c’est que l’heure est vraiment grave.

Quand le parquet décide d’ouvrir une enquête pour outrage à magistrat et rébellion à l’encontre d’avocats intervenant dans un procès en cours, sans attendre l’issue de celui-ci et alors qu’une requête en récusation a été déposée mais n’a pas encore été l’objet d’une décision, c’est que l’heure est extrêmement grave.

Vous êtes nombreux à vous être émus de cette séquence et je partage vos inquiétudes.

Cet incident concerne des avocats néerlandophones. De nombreux échos m’en sont parvenus, parfois contradictoires, de sorte qu’il est difficile – et peu souhaitable – de se prononcer sur le fond de l’affaire.

Mais des principes fondamentaux doivent être rappelés.

Un avocat a le droit, et le devoir, de s’exprimer devant le tribunal pour veiller au respect des droits de la défense. Ceux-ci incluent les conditions matérielles dans lesquelles il est amené à devoir travailler, notamment lorsqu’elles ne sont pas identiques – loin s’en faut – avec celles du ministère public. 

Un avocat a le droit, et le devoir, de demander la récusation d’un juge lorsqu’il estime que ce dernier n’est plus à même de juger de manière impartiale la cause qui lui est soumise. 

Ces droits sont fondamentaux. Ils ne peuvent s’exercer sous la crainte des conséquences personnelles que leur exercice pourrait entraîner. Et même s’il devait être constaté que quelques-uns en abusent, cela ne peut justifier que l’on jette l’opprobre sur l’ensemble de la profession.

Gardons-nous toutefois de considérer chaque incident comme une attaque délibérée contre le barreau ou contre la magistrature. Chaque problème ne doit pas être analysé en fonction du « camp » dans lequel on se trouve, ni opposer les uns aux autres.

Ce qui vient de se passer au Justitia illustre, à lui seul, le malaise qui traverse aujourd’hui notre système judiciaire. La pression est considérable, pour les magistrats comme pour les avocats. Les conditions matérielles, les délais serrés, le manque de locaux adaptés, l’ampleur et la  complexité des dossiers, le manque de personnel : tout concourt à créer des tensions. Nous en faisons tous l’expérience, chacun dans notre rôle, et parfois au détriment du dialogue et du respect mutuel.

Or, sans ce respect réciproque, sans la reconnaissance de la place de chacun – les magistrats dans leur fonction de juger, les avocats dans leur rôle de défendre –, la justice elle-même s’affaiblit. Nous ne sommes pas les adversaires les uns des autres. Nous servons la même finalité : que la justice puisse se dire, et se dire sereinement.

Il est impératif de revenir à un climat apaisé. Cela suppose que les avocats puissent être entendus lorsqu’ils soulèvent des difficultés ou incidents, et que leurs demandes soient actées. Cela suppose aussi que chacun prenne la mesure des pressions qui pèsent sur l’autre, pour ne pas ajouter à la crispation générale. 

Cela suppose surtout que le pouvoir politique accorde enfin à la justice les moyens dont elle a besoin pour s’exercer dans des conditions conformes à un Etat de droit.

Ce n’est pas dans le tumulte que la justice peut retrouver la confiance des citoyens, mais dans la sérénité des débats.

Nous devons donc, ensemble, retrouver le chemin du dialogue et de l’apaisement. C’est à cette condition que nous pourrons, malgré les difficultés, continuer à faire vivre une justice digne de ce nom.

Votre bien dévouée,

Marie Dupont

Crédit photo : © Belga