Action nationale des bâtonniers et bâtonnières du pays : ils visitent les prisons belges et dénoncent le non-respect du droit à la santé
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Bruxelles, le 10 décembre 2025 – En cette Journée internationale des droits humains, les bâtonniers et bâtonnières belges entendent témoigner de la réalité des conditions de détention, en tant que garants des droits fondamentaux. Ils veulent rappeler que la dignité humaine ne s’arrête pas aux portes des prisons et appeler les responsables politiques à mettre en place une politique carcérale qui permette aux détenus de ressortir en bonne santé. Leur constat est sans appel : l’accès aux soins de santé en prison est gravement défaillant, en violation de la loi et des conventions internationales. Ce manquement ne touche pas uniquement les détenus, mais concerne l’ensemble de la société.
La santé en prison est un enjeu de société
Qu’on le veuille ou non, les personnes incarcérées aujourd’hui sortiront demain, tandis que d’autres, actuellement libres, franchiront peut-être les portes de la prison. La prison s’inscrit donc dans un continuum avec la société. « Les anciens détenus redeviennent à leur sortie de prison des patients à part entière, avec des problèmes psychiatriques et somatiques complexes, pas assez diagnostiqués et traités», explique le docteur Brecht Verbrugghe, médecin pénitentiaire.
« Il y a une absence de continuité des soins avec une communication entre le dedans et le dehors très difficile, occasionnant des interruptions injustifiées de prise en charge du fait d’une incarcération. Ceci impacte la santé des personnes, mais aussi la collectivité, car les prises en charge différées sont rendues plus complexes et finalement plus onéreuses » dénonce également un collectif de médecins. Cette circulation constante entre le “dedans” et le “dehors” fait de la santé en prison un enjeu de santé publique.
Une atteinte à la santé publique et à la réinsertion
La population carcérale est particulièrement vulnérable. “Il s’agit d’une population qui vit en moyenne 15 ans de moins que la population générale et qui nécessite donc beaucoup de soins médicaux”, raconte le docteur Brecht Verbrugghe. Environ 50 % souffrent de troubles psychiatriques et près de 80 % ont connu des problèmes de santé mentale à un moment donné de leur vie. Leurs profils et besoins thérapeutiques sont très variés : handicap intellectuel, troubles psychotiques, troubles du comportement, addictions aux stupéfiants, stress post-traumatique complexe ou cumul de plusieurs pathologies et/ou handicaps. Cette fragilité se traduit aussi par un taux de suicide 25 % plus élevé que la médiane européenne.
Face à une telle vulnérabilité, la qualité des soins dispensés en prison revêt une importance cruciale. Pourtant, elle demeure largement insuffisante. En effet, des pathologies mal soignées, des troubles psychiques non pris en charge ou des dépendances non traitées favorisent la récidive.
En outre, les maladies infectieuses ne s’arrêtent pas aux murs des prisons. La surpopulation, le manque de dépistage et les soins insuffisants favorisent la propagation d’infections telles que la tuberculose, le VIH ou l’hépatite C. La probabilité d’être infecté par ces maladies est nettement plus élevée en prison. Ces pathologies se diffusent ensuite dans la société lorsque les détenus sont libérés.
Une situation dramatique pour les personnes internées
En juin 2025, les prisons belges comptaient plus de 1.000 personnes internées, contre 587 en 2019. Ces personnes, atteintes de maladies mentales, devraient être accueillies dans des structures de soins adaptées. Faute de places, elles sont pourtant détenues dans des établissements pénitentiaires où leur état ne peut qu’empirer. Selon Unia et le Conseil central de surveillance pénitentiaire (CCSP), la situation est “catastrophique”.
Les prisons, déjà surpeuplées, aggravent les troubles psychiatriques des internés. Leur rapport souligne qu’à la libération, la première année en institution psychiatrique est souvent consacrée à réparer le traumatisme du séjour en prison.
Cette absence de prise en charge adéquate entraine des répercussions directes sur la société tout entière : elle aggrave les troubles psychiatriques, compromet la réinsertion et accroît les risques de récidive.
Un droit garanti par la loi mais gravement bafoué
L’article 88 de la loi de principes du 12 janvier 2005 consacre le droit des détenus à bénéficier de soins de santé équivalents à ceux de la société libre. Ce principe est aussi garanti par la Convention européenne des droits de l’homme, qui interdit tout traitement inhumain ou dégradant. Pourtant, un écart manifeste et inacceptable subsiste entre le droit et la réalité de terrain.
Le ratio entre le nombre de détenus et le personnel médical est totalement déséquilibré : certains praticiens voient jusqu’à 70 détenus en une séance de 4 heures, soit moins de 3,5 minutes à consacrer en moyenne à ces patients. De plus, selon l’Organisation mondiale de la santé, en 2020 la Belgique ne comptait qu’un psychiatre pour 5000 détenus, contre une moyenne européenne de 6,5.
Des conditions indignes
Amin, détenu à Ittre, vit un calvaire : ayant subi un AVC, et atteint d’un cancer, il voit systématiquement ses consultations à l’hôpital annulées ou reportées car les transferts vers les lieux externes à la prison ne sont pas assurés. Le service médical de la prison semble bien démuni.
Un autre détenu a dû être amputé d’un orteil suite à un diabète non stabilisé, par manque de personnel infirmier pour apporter les soins podologiques requis par son état.
Les pénuries de personnel, d’équipements, la vétusté des infrastructures et les lacunes dans la transmission des informations médicales aggravent encore la situation. Les conditions dans lesquelles ils doivent recevoir leur patient, souvent la porte ouverte, avec parfois un codétenu ou un agent comme traducteur, rendent également difficile le respect du secret médical, de la vie privée et de l’intimité des détenus.
e Dr Brecht Verbrugghe a d’ailleurs saisi l’Ordre des médecins en mai dernier pour dénoncer cette situation : "Si on regarde la qualité du soin en prison, c’est épouvantable. Il n’y a pas du tout d’équivalence de soin à moins de considérer qu’avant son incarcération le détenu vivait dans la rue. Alors oui, on donne la même qualité de soin que s’il était dans la rue".
Le conseil de l’Ordre des médecins a rendu un avis limpide le 12 septembre 2025, actant les transgressions systématiques aux droits fondamentaux des détenus.
Un appel aux autorités
Le non-respect du droit à la santé des détenus engage directement la responsabilité de l’État belge, déjà condamné à plusieurs reprises par la Cour européenne des droits de l’homme pour ses conditions de détention. Les bâtonniers et les bâtonnières demandent aux responsables politiques de prendre leurs responsabilités et de garantir un accès digne et équivalent aux soins de santé dans toutes les prisons du pays.
Les bâtonniers et bâtonnières du pays continueront leurs visites des prisons pour témoigner et dénoncer les situations contraires aux droits fondamentaux des détenus et au souhait de la société de les voir se réinsérer dans la société.
Ils se joignent à L’Ordre des médecins et à l’ensemble des acteurs de terrain pour exiger le transfert de la compétence des soins de santé dans les prisons du SPF Justice vers le SPF Santé publique.